Un concert de Paul Weller n'est jamais seulement un concert
quand on est nourri de sa musique de manière quasi pathologique, quand on a
depuis longtemps dépassé le rationnel, pour autant qu’il y ait quoi que ce soit
de rationnel dans l’amour fou de la musique.
C'est un rite Mod auquel je me rends en espérant bien que tout sera
présent, la magie de l'avant, l'enchantement du concert, la béatitude de
l'après. Fan béat, transi, inconditionnel?
Non, je n'ai pas tout et j'avoue que je dois rater quelque chose en ce qui
concerne le dernier album, Sonik
Kicks, parce que j'ai vraiment beaucoup de mal à l'écouter d'une traite, je
lui reconnais le mérite essentiel de ne jamais se répéter mais cette nouvelle
déclinaison de son talent a du mal à m'atteindre. Weller reste Weller, on
avance, move on up et on voit. Si celui-là me semble un peu mince, je n’ai
aucune envie d’entendre Stanley Road volume 14.
Mais avouons. Ce gamin de 14 ans qui entre dans une discothèque municipale, aux
prises avec l'acmé de l'acné, c'est moi, le mec qui en sort en apnée de l'année devant
tant de classe pour devenir un Mod à vie après l'écoute de Sound Affects,
le fils racé et urbain du Revolver
des Fab ‘, c'est moi aussi. Entre
deux, la cervelle percutée par la soul, le riff de cuivres de Boy About Town et je le dis
sérieusement, au premier degré, une vie intégralement changée. En sortant, j'avais une identité, j’étais un Mod un peu
avant de savoir ce que c’était vraiment. Pas comme ces crétins passéistes et
nationalistes qui n'ont rien compris du tout à l'ouverture d'esprit qui va
obligatoirement avec ce que Weller appelle lui même la Modness, mais l'attitude
mod, cet orgueil bravache qui nous fait croire qu'on ne nous la fait
pas. Avec Weller, je découvrais les Jam mais il allait aussi m'emmener
vers la soul de Curtis Mayfield, les Beatles, toutes les grandes sixties
anglaises, vers des horizons constamment proposés et renouvelés et rester, de
loin, hors concours en matière de songwriting malgré la tentative inaboutie de
son valeureux Style Council, la Soul en plastique et le concept ayant fini par
prendre le pas sur la musique. Aucun musicien ne m’a proposé autant de musique
à écouter autre que la sienne. Mod, ce n’est pas s'acheter une panoplie, un
Fred Perry et un scooter, glander à Carnaby et se la jouer au Bar Italia dans
Soho. C'est une nécessaire ouverture sur le monde, ce n'est pas un son étriqué,
rien à voir avec une crispation d’oreille obstinément collée sur de vieilles
scies sixties qui n'auraient jamais quitté les clubs d'un London qu'on dit
swinging. Le Mod cherche, avance, partage, écoute, propose, de John Coltrane à
Debussy en passant par The Creation. C'est ce que ne cesse de faire Weller,
notamment depuis le début des années 2000 quand il eut épuisé les ressources de
ses obsessions, Traffic et les Small Faces. Il sentit alors qu'il fallait aller
ailleurs ou rester sur place. S'ensuit une éblouissante série d'albums... Fan ?
Oui, je crois qu'il est passé dans mon
ADN et la présence de mon fils à ce concert semble confirmer qu'il y a eu
passation génétique. Mais quid du concert? en 2008, je l'avais vu trois fois
pour deux concerts de feu et un concert très raté, ordinaire, sans âme, un peu
bâclé même pour un performer qui joue sans le moindre artifice ("It ain't
no fucking circus, mate"), un concert court au cours duquel toutes les
tentatives de se lancer avait échoué. Un set acoustique plat qui ne décolle pas
et une électricité qui tourne à vide, un Weller très agacé qui avait
manifestement envie d'engueuler quelqu'un et qui écrivit un rageur
"Shithole" sur la setlist au lieu de "Bruxelles". Bref, ça
n'allait pas. Goodbye Brussels…
L'internationale Mod avait donc rendez-vous à côté de l'AB... Trois lads de
Liverpool, Niels le Danois, Simon the brummie (Birmingham ou Brum) et nous. A
quelques pas, d’authentiques copies non conformes de Weller... J'avoue,
honteusement que ça me faisait penser à des essais de laboratoire non
concluants, voire à Alien, le dernier épisode, quand Sigourney Weaver est face
à ses premiers clones. Je me demande bien quel effet ça fait d'être à ce point
admirateur, de se mettre dans les pas, dans les mèches de son idole... Je me
demande aussi quel effet ça fait d'arriver pour un concert, d'être Weller et de
se voir en plus petit, en plus gros, en plus vieux, en plus grand. Etrange... To be someone must be a wondefurl thing…
Tout le monde se charrie gentiment, on essaie de ne surtout
pas boire autant que les Anglais, même s'il faut avouer qu'ils sont adorables
et qu'Antoine et moi nous sommes retrouvés avec une bière entamée posée sur la
table et... deux autres, offertes par les envahisseurs d'une Albion pas
tellement perfide pour l'heure. Le temps passe, on traîne à l’anglaise, et on
se raconte nos concerts... On laisse monter une impatience nécessaire. Le bus,
noir et racé, arrive enfin. Weller a le même groupe depuis 2008, Steve Cradock,
l'éternel lieutenant qui faisait le pied de grue devant le studio de Weller à
l'âge de 19 ans pour que Weller le laisse jouer avec lui..., Andy Lewis à la
basse (Red Inspectors, dernier album), Steve Pilgrim, ex battteur de the Stands et artiste folk en solo
(trois albums) et le génial Andy Crofts, clavier pour Weller et auteur
compositeur de The Moons, groupe dont
je ne peux que vous recommander le premier album, Life on earth. Enorme
avantage des concerts européens de Weller, il est détendu et abordable, nous
sommes 25 à l'attendre, il est cool, le trottoir est large, aucune tension.
Mark, le bodyguard, n'intervient pas et tout le monde peut discuter cinq
minutes avec tout le monde, on sert la main de Weller, on prend des photos. SoniK
Pics. Etrange encore, ces gars là nous sont tellement familiers depuis tant
d'années qu'on demanderait presque des nouvelles de la famille...ça commence
vraiment très bien, c’est un tout autre Weller que celui de 2008. Fin du
premier acte.
En attendant le concert, au premier rang d’une Ancienne Belgique
qui ne se remplit que doucement, on a le loisir d’apercevoir et de discuter
avec le grand Alex Vanhee dont je ne peux que vous recommander les photos. Un œil
inégalable sur ce qu’il photographie, comme s’il sentait parfaitement ce qu’il
y a derrière l’objectif ! Enfin, 20 heures 10, le Weller en chef arrive et
joue intégralement Sonik Kicks, sanglé au cordeau dans le costume de la
pochette de l’album, impeccablement élégant, habitué à la grande classe
vestimentaire de Saville Row et de ses maîtres tailleurs. On sait que le
concert sera bon, Weller ne regarde personne rageusement, ne demande aucun
ajustement, ne chipote pas sur la voix, la guitare, le retour. Honnêtement, l’album
prend beaucoup de grain et de densité live, plus cohérent, le son est plus
homogène, les « bandes » tournent mais le bidouillage vaguement
électro est moins sensible, la densité physique de la scène amoindrit le sentiment
de montage artificiel. Pourtant, même la cigarette d’un Weller qui tente
obstinément d’arrêter de fumer est électronique. Allez, c’est bien, mais on
attend quand même que le groupe lâche les chevaux, étonnant aussi que de savoir
par cœur quel est le morceau suivant. C’est courageux de jouer un album en
entier, du début à la fin, Weller ne lâche rien, il ne veut absolument pas
devenir un tribute band dédié à sa propre musique. C’est l’un des rares à faire
ça et il ne manque pas de morceaux après 35 ans (si.) de musique, de In the City, 1977 à ce Sonik Kicks. L’attitude est à l’image de
Weller, on ne lâche rien, on ne servira pas le best réchauffé, on jouera ce qu’on
vient de finir, ce qui est encore chaud et si le public reste les bras croisés
et que Weller admet qu’il perd une partie de ce public sur cet album, tant pis,
on avance. Quant à la reformation des Jam, n’y pensez même pas. Madame Weller,
HannaH, le doux palindrome de Paul, fait une courte apparition sur la tentative
électro dub de l’album. Pas un regard, elle vient chanter, point barre. Pause.
Le deuxième set est acoustique et
totalement étincelant, Weller a eu l’intelligence d’aller chercher dans ses
derniers titres les plus intéressants sur le plan vocal, les harmonies sont
magnifiques, Steve Pilgrim, batteur discret qui s’était sauvé à la descente du
bus est un excellent chanteur et Andy Crofts aussi. On harmonise donc le plus
possible, ce n’est pas tout à fait Crosby Stills Nash and Young mais c’est pur,
aérien, éthéré sans niaiserie, l’énergie restant un maître mot dans la dynamique
wellerienne. Cette capacité de vous donner l’impression que la chanson marche
vers vous est assez rare pour être soulignée, que de redites en effet après un
couplet et un refrain dans tant de chansons radiophoniques. All on a misty morning s’envole vraiment
très haut dans les sphères de L’AB,
on pose les guitares dites sèches. Et
puis vient l’orage et l’heure électrique, le kick sonique.
Weller, sobre, redevenu très précis dans sa
quête du son, joue serré et ca chercher la vibration électrique dans le moindre
recoin de la salle. Son jeu de guitare est tendu et le sustain maîtrisé, moins
de pains qu’à l’habitude quand il oublie de faire attention. On le verra même
avoir ce tic des grands soirs, il avance vers le public, se balance de droite à
gauche en restant sur place, cligne rapidement des yeux sans les fermer
totalement et donne l’impression de demander si ça envoie suffisamment en
relevant le menton. Oh que oui, ça envoie et l’AB décolle, en vaisseau spatial
que les salles de concert deviennent parfois selon ses propres mots. Un
papillon blanc vole vers moi, heureux d’attraper ce médiator blanc, Fender
Heavy, SoniK pick. Rappel et toujours
pas de vieilles scies, ouf, pas de Malice, pas de Something to me, pas de
Wildwood… Move on up. Les trottoirs brusselois ne se noyèrent pas de pluie
froide et intense comme en 2010 et la foule sortit conquise, au sens premier,
après une conquête amoureuse et électrique. En sortant du bar, je croisai Eon
Ballinger qui me gratifia d’une belle accolade. Eon a joué sur un titre de l’album
de la reformation des Creation. Ça ne
pouvait pas être plus parfait. Sonik Geek.
2 comments:
Très très bonne chronique, merci. C'est le 1er concert de Weller/Jam/Style Council à Bruxelles que je loupe, obligation professionnelle et je ne m'en suis pas encore remis....
Encore bravo pour le site!
Absolument d'accord avec toi au sujet du modisme. Bravo !
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