2012/06/20

Brussels gig, the blog's review (French today, English friday)


Un concert de Paul Weller n'est jamais seulement un concert quand on est nourri de sa musique de manière quasi pathologique, quand on a depuis longtemps dépassé le rationnel, pour autant qu’il y ait quoi que ce soit de rationnel dans l’amour fou de la musique.  C'est un rite Mod auquel je me rends en espérant bien que tout sera présent, la magie de l'avant, l'enchantement du concert, la béatitude de l'après.  Fan béat, transi, inconditionnel? Non, je n'ai pas tout et j'avoue que je dois rater quelque chose en ce qui concerne le dernier  album, Sonik Kicks, parce que j'ai vraiment beaucoup de mal à l'écouter d'une traite, je lui reconnais le mérite essentiel de ne jamais se répéter mais cette nouvelle déclinaison de son talent a du mal à m'atteindre. Weller reste Weller, on avance, move on up et on voit. Si celui-là me semble un peu mince, je n’ai aucune envie d’entendre Stanley Road volume 14. 



Mais avouons. Ce gamin de 14 ans qui entre dans une discothèque municipale, aux prises avec l'acmé de l'acné, c'est moi, le mec qui en sort en apnée de l'année devant tant de classe pour devenir un Mod à vie après l'écoute de Sound Affects, le fils racé et urbain du Revolver des Fab ‘,  c'est moi aussi. Entre deux, la cervelle percutée par la soul, le riff de cuivres de Boy About Town et je le dis sérieusement, au premier degré, une vie intégralement changée. En sortant,  j'avais une identité, j’étais un Mod un peu avant de savoir ce que c’était vraiment. Pas comme ces crétins passéistes et nationalistes qui n'ont rien compris du tout à l'ouverture d'esprit qui va obligatoirement avec ce que Weller appelle lui même la Modness, mais l'attitude mod, cet orgueil bravache qui nous fait croire qu'on ne nous la  fait pas.  Avec Weller, je découvrais les Jam mais il allait aussi m'emmener vers la soul de Curtis Mayfield, les Beatles, toutes les grandes sixties anglaises, vers des horizons constamment proposés et renouvelés et rester, de loin, hors concours en matière de songwriting malgré la tentative inaboutie de son valeureux Style Council, la Soul en plastique et le concept ayant fini par prendre le pas sur la musique. Aucun musicien ne m’a proposé autant de musique à écouter autre que la sienne. Mod, ce n’est pas s'acheter une panoplie, un Fred Perry et un scooter, glander à Carnaby et se la jouer au Bar Italia dans Soho. C'est une nécessaire ouverture sur le monde, ce n'est pas un son étriqué, rien à voir avec une crispation d’oreille obstinément collée sur de vieilles scies sixties qui n'auraient jamais quitté les clubs d'un London qu'on dit swinging. Le Mod cherche, avance, partage, écoute, propose, de John Coltrane à Debussy en passant par The Creation. C'est ce que ne cesse de faire Weller, notamment depuis le début des années 2000 quand il eut épuisé les ressources de ses obsessions, Traffic et les Small Faces. Il sentit alors qu'il fallait aller ailleurs ou rester sur place. S'ensuit une éblouissante série d'albums... Fan ?  Oui, je crois qu'il est passé dans mon ADN et la présence de mon fils à ce concert semble confirmer qu'il y a eu passation génétique. Mais quid du concert? en 2008, je l'avais vu trois fois pour deux concerts de feu et un concert très raté, ordinaire, sans âme, un peu bâclé même pour un performer qui joue sans le moindre artifice ("It ain't no fucking circus, mate"), un concert court au cours duquel toutes les tentatives de se lancer avait échoué. Un set acoustique plat qui ne décolle pas et une électricité qui tourne à vide, un Weller très agacé qui avait manifestement envie d'engueuler quelqu'un et qui écrivit un rageur "Shithole" sur la setlist au lieu de "Bruxelles". Bref, ça n'allait pas. Goodbye Brussels…



L'internationale Mod avait donc rendez-vous à côté de l'AB... Trois lads de Liverpool, Niels le Danois, Simon the brummie (Birmingham ou Brum) et nous. A quelques pas, d’authentiques copies non conformes de Weller... J'avoue, honteusement que ça me faisait penser à des essais de laboratoire non concluants, voire à Alien, le dernier épisode, quand Sigourney Weaver est face à ses premiers clones. Je me demande bien quel effet ça fait d'être à ce point admirateur, de se mettre dans les pas, dans les mèches de son idole... Je me demande aussi quel effet ça fait d'arriver pour un concert, d'être Weller et de se voir en plus petit, en plus gros, en plus vieux, en plus grand. Etrange... To be someone must be a wondefurl thing…



Tout le monde se charrie gentiment, on essaie de ne surtout pas boire autant que les Anglais, même s'il faut avouer qu'ils sont adorables et qu'Antoine et moi nous sommes retrouvés avec une bière entamée posée sur la table et... deux autres, offertes par les envahisseurs d'une Albion pas tellement perfide pour l'heure. Le temps passe, on traîne à l’anglaise, et on se raconte nos concerts... On laisse monter une impatience nécessaire. Le bus, noir et racé, arrive enfin. Weller a le même groupe depuis 2008, Steve Cradock, l'éternel lieutenant qui faisait le pied de grue devant le studio de Weller à l'âge de 19 ans pour que Weller le laisse jouer avec lui..., Andy Lewis à la basse (Red Inspectors, dernier album), Steve Pilgrim, ex battteur de the Stands et artiste folk en solo (trois albums) et le génial Andy Crofts, clavier pour Weller et auteur compositeur de The Moons, groupe dont je ne peux que vous recommander le premier album, Life on earth. Enorme avantage des concerts européens de Weller, il est détendu et abordable, nous sommes 25 à l'attendre, il est cool, le trottoir est large, aucune tension. Mark, le bodyguard, n'intervient pas et tout le monde peut discuter cinq minutes avec tout le monde, on sert la main de Weller, on prend des photos. SoniK Pics. Etrange encore, ces gars là nous sont tellement familiers depuis tant d'années qu'on demanderait presque des nouvelles de la famille...ça commence vraiment très bien, c’est un tout autre Weller que celui de 2008. Fin du premier acte.

En attendant le concert, au premier rang d’une Ancienne Belgique qui ne se remplit que doucement, on a le loisir d’apercevoir et de discuter avec le grand Alex Vanhee dont je ne peux que vous recommander les photos. Un œil inégalable sur ce qu’il photographie, comme s’il sentait parfaitement ce qu’il y a derrière l’objectif ! Enfin, 20 heures 10, le Weller en chef arrive et joue intégralement Sonik Kicks, sanglé au cordeau dans le costume de la pochette de l’album, impeccablement élégant, habitué à la grande classe vestimentaire de Saville Row et de ses maîtres tailleurs. On sait que le concert sera bon, Weller ne regarde personne rageusement, ne demande aucun ajustement, ne chipote pas sur la voix, la guitare, le retour. Honnêtement, l’album prend beaucoup de grain et de densité live, plus cohérent, le son est plus homogène, les « bandes » tournent mais le bidouillage vaguement électro est moins sensible, la densité physique de la scène amoindrit le sentiment de montage artificiel. Pourtant, même la cigarette d’un Weller qui tente obstinément d’arrêter de fumer est électronique. Allez, c’est bien, mais on attend quand même que le groupe lâche les chevaux, étonnant aussi que de savoir par cœur quel est le morceau suivant. C’est courageux de jouer un album en entier, du début à la fin, Weller ne lâche rien, il ne veut absolument pas devenir un tribute band dédié à sa propre musique. C’est l’un des rares à faire ça et il ne manque pas de morceaux après 35 ans (si.) de musique, de In the City, 1977 à ce Sonik Kicks. L’attitude est à l’image de Weller, on ne lâche rien, on ne servira pas le best réchauffé, on jouera ce qu’on vient de finir, ce qui est encore chaud et si le public reste les bras croisés et que Weller admet qu’il perd une partie de ce public sur cet album, tant pis, on avance. Quant à la reformation des Jam, n’y pensez même pas. Madame Weller, HannaH, le doux palindrome de Paul, fait une courte apparition sur la tentative électro dub de l’album. Pas un regard, elle vient chanter, point barre. Pause.

Le deuxième set est acoustique et totalement étincelant, Weller a eu l’intelligence d’aller chercher dans ses derniers titres les plus intéressants sur le plan vocal, les harmonies sont magnifiques, Steve Pilgrim, batteur discret qui s’était sauvé à la descente du bus est un excellent chanteur et Andy Crofts aussi. On harmonise donc le plus possible, ce n’est pas tout à fait Crosby Stills Nash and Young mais c’est pur, aérien, éthéré sans niaiserie, l’énergie restant un maître mot dans la dynamique wellerienne. Cette capacité de vous donner l’impression que la chanson marche vers vous est assez rare pour être soulignée, que de redites en effet après un couplet et un refrain dans tant de chansons radiophoniques.    All on a misty morning s’envole vraiment très haut dans les sphères de L’AB, on pose les guitares dites sèches.  Et puis vient l’orage et l’heure électrique, le kick sonique.

Weller, sobre, redevenu très précis dans sa quête du son, joue serré et ca chercher la vibration électrique dans le moindre recoin de la salle. Son jeu de guitare est tendu et le sustain maîtrisé, moins de pains qu’à l’habitude quand il oublie de faire attention. On le verra même avoir ce tic des grands soirs, il avance vers le public, se balance de droite à gauche en restant sur place, cligne rapidement des yeux sans les fermer totalement et donne l’impression de demander si ça envoie suffisamment en relevant le menton. Oh que oui, ça envoie et l’AB décolle, en vaisseau spatial que les salles de concert deviennent parfois selon ses propres mots. Un papillon blanc vole vers moi, heureux d’attraper ce médiator blanc, Fender Heavy,  SoniK pick. Rappel et toujours pas de vieilles scies, ouf, pas de Malice, pas de Something to me, pas de Wildwood… Move on up. Les trottoirs brusselois ne se noyèrent pas de pluie froide et intense comme en 2010 et la foule sortit conquise, au sens premier, après une conquête amoureuse et électrique. En sortant du bar, je croisai Eon Ballinger qui me gratifia d’une belle accolade. Eon a joué sur un titre de l’album de la reformation des Creation. Ça ne pouvait pas être plus parfait. Sonik Geek.

2 comments:

Marc Zalcman said...

Très très bonne chronique, merci. C'est le 1er concert de Weller/Jam/Style Council à Bruxelles que je loupe, obligation professionnelle et je ne m'en suis pas encore remis....
Encore bravo pour le site!

Anonymous said...

Absolument d'accord avec toi au sujet du modisme. Bravo !